CHAPITRE XXI

Il attendait depuis près de deux heures, dissimulé dans l'encoignure près de la fenêtre. De là, il voyait parfaitement le rectangle bleuté que la baie découpait sans pouvoir être vu de l'extérieur. La façade de l'immeuble qui faisait face à celui où il se trouvait était sombre. L'édifice devait être l'une de ces rares constructions extérieures consacrées à des bureaux, et il semblait être désert dès le crépuscule.

Born eut une pensée pour Parker. Ii devait se morfondre dans la pièce voisine. Pour lui, l'attente devait être encore plus longue et pénible.

Il perçut à peine un très léger claquement, scruta l'obscurité. Une étroite échelle de corde pendait maintenant devant sa fenêtre.

Valéry Born actionna le mécanisme d'ou..

verture. Le panneau vitré se releva lentement, sans bruit, en se glissant dans le haut du mur.

Il se pencha à l'extérieur... C'était impressionnant. Il ignorait à quel étage se trouvait l'appartement, mais il surplombait la rue de quelque deux ou trois cents mètres. L'artère ressemblait davantage, vue de cette hauteur, à un sentier étroit entre ces monuments monstrueux •de béton, d'acier et de verre qu'à une avenue. II tourna la tête. Vers le haut, l'édifice s'élevait encore. En fait, leur appartement se situait environ à mi-hauteur de l'immeuble.

L'échelle pendait de la fenêtre qui s'ouvrait juste au-dessus de la sienne. Born l'agrippa, l'amena à lui.

Les cordes étaient solides. Les barreaux, courts et gros, fortement pris à chaque extrémité dans le cordage.

Il avait conscience qu'il fallait faire vite.

Encore debout devant la fenêtre, dans la chambre, Born pesa de tout son poids sur l'échelle. Là-haut, ça tenait. Sous l'effet de la forte traction exercée, les cordes s'étaient tendues, mais il n'avait pas noté le moindre choc, le moindre fléchissement qui aurait traduit une faiblesse des attaches.

En s'aidant de l'échelle, Valéry grimpa sur le rebord étroit de la fenêtre, s'y tint accroupi une seconde, Il fallait éviter de regarder vers le bas, ne pas penser au gouffre qui s'ouvrait devant Une pensée soudaine le retint durant une fraction de seconde... Et si tout ceci n'était qu'un piège... N'avait-on pas manigancé tout ce plan pour pouvoir les accuser ensuite de tentative d'évasion, pour pouvoir alors... Il repoussa cette idée, saisit fortement l'échelle et s'élança.

E se créa d'abord un léger mouvement de balancement, qui cessa bientôt, en diminuant de plus en plus au fur et à mesure qu'il grimpait... Quelques métres qui lui parurent une distance énorme...

L'échelle était accrochée par des grappins d'acier directement au rebord de la fenêtre.

Valéry Born s'agrippa à ce rebord, escalada encore quelques échelons avec les pieds tandis qu'il effectuait un rétablissement. En équilibre sur "étroite bordure pendant un bref instant, il sentit une main fine et nerveuse lui saisir l'avant-bras, le soutenir. Il sauta souplement dans la pièce.

C'était sans doute un peu ridicule, mais il avait Je front moite de sueur.

La pièce était sombre. En dépit de l'obscurité, il put distinguer vaguement le mobilier d'une chambre à peu près identique à celle qu'il venait de quitter. Oui. C'était bien cela.

Les deux pièces étaient aménagées de la même façon, meublées de la même manière. Il en fut un peu surpris, puis abandonna son bref examen des lieux pour se tourner vers la mince silhouette qui se tenait près de lui.

Elle n'avait pas lâché son bras. Elle le fit lentement. Born tira un mouchoir de sa poche, essuya sans fausse honte la sueur qui perlait sur son front.

Il avait tout de suite reconnu Oanoa. Prestement, elle se détourna, remonta l'échelle de corde, actionna le mécanisme. La fenêtre se referma silencieusement.

— Venez, dit-elle en lui reprenant le bras.

J'ai énormément de choses à vous dire et il faut faire vite, très vite...

Valéry pensa qu'elle s'exprimait beaucoup plus aisément en parlant que par écrit, se dit encore qu'avoir de telles pensées dans un moment aussi important était stupide...

Elle l'entraîna seulement jusqu'au fond de la pièce.

—Asseyons-nous ici, murmura-t-elle.

Ses yeux, après l'attente dans la pénombre, s'étaient habitués à l'obscurité. Born prit place sur le bord d'un fauteuil, penché en avant, les coudes appuyés sur les genoux. Elle s'assit en face de lui, ajouta : —Il vaut mieux ne pas donner de la lumière...

—Vous avez raison...

—Où est votre ami ?

—En bas, dans la salle de séjour. je me tenais dans la chambre. Je n'ai pas allumé non plus.,.

—C'est bien.

Elle se tut pendant quelques secondes.

Born la devinait tendue. Elle reprit enfin, dans un chuchotement : —Ce que je vais vous confier vous surprendra certainement plus d'une fois. Ne m'interrompez pas... je ne peux pas vous expliquer tout en détail cette nuit ; nous n'avons pas le temps... Essayez de me croire et d'avoir confiance. Vous comprendrez plus tard, plus facilement, tout ce qui pourra vous paraître incroyable, ce soir...

—C'est entendu...

Nous sommes dans une clinique de luxe. J'y travaille. Il y a dix étages découpés en appartements semblables à celui-ci et à celui crue vous occupez, réservés à des malades aisés, qui viennent s'y reposer...

Une sorte de maison de convalescence? hasarda Valéry.

— C'est cela... Pour vous, c'est évidemment spécial. Ii fallait trouver un endroit où on pourrait vous garder facilement sans que ça ressemble trop à une prison... C'est toujours ici qu'on détient...

Elle s'interrompit, mais Born avait compris. En dépit des recommandations de la jeune femme, il ne put s'empêcher de questionner: —Vous voulez dire que d'autres Terriens ont été séquestrés ici ?

—Il y avait très longtemps que personne n'y avait été détenu avant votre arrivée... Mais laissons cela pour l'instant... Jusqu'à hier, cet appartement a été occupé, et je n'ai pas pu agir avant... Ce n'était pourtant pas faute de chercher un moyen quelconque de vous aider, mais...

Elle fit de nouveau une brève pause.

Vous savez déjà que je m'appelle Oanoa, poursuivit-elle. Je ne suis pas Médienne. Je suis de race hybride... Mon grandpère était le fils de l'un des marins du Rosalie, un équipage disparu dans l'Atlantique il y a...

connais l'histoire, l'interrompit Born, curieux d'entendre la suite de ces surprenantes révélations.

-... Nous sommes ici un petit groupe, presque tous dans l'opposition vis-à-vis de certains projets de notre gouvernement concernant la Terre... Je vous expliquerai tout à l'heure... Pour l'instant, il faut que vous sachiez que jamais le gouvernement n'autorisera votre retour sur Terre. Et, sans notre aide, il vous sera impossible de vous échapper... On VOUS laissera attendre, longtemps sans doute, et la meilleure alternative qu'on puisse finalement vous proposer est la suivante accepter de vous intégrer de votre plein gré à la société médienne en renonçant à votre passé, en reniant vos origines, ou être exécutés... Il va de soi que vous ne cesserez jamais d'être étroitement surveillés... En optant pour la première solution, on vous permettra de mener une existence normale ; ce ne sera plus cette captivité 'déprimante; mais on ne vous laissera aucune ,chance de pouvoir tenter une fuite... D'ailleurs, où iriez-vous ? Sur Terre, bien sûr... Mais retourner sur Terre sans retourner à votre véritable époque ne vous avancerait pas à grand-chose, n'est-ce pas 7...

D'autre part..

Oanoa parla encore pendant quelques minutes, en phrases rapides, un peu hachées.

•Quand elle se tut, Valéry Born ne savait plus s'il devait laisser s'exprimer sa joie devant la perspective d'un départ ou se laisser submerger par l'inquiétude, le découragement, •la peur... Certaines des déclarations de la jeune femme faisaient frémir d'angoisse...

•Oanoa fouilla dans une poche de la cornbinaison sombre qu'elle portait, glissa un petit tube métallique entre les doigts de Born.

— Tenez... Cachez-le... Ne vous en séparez jamais, ce sera mieux... Il y a là-dedans cinq petites pastilles. L'absorption d'une seule d'entre elles vous permettra de revenir à votre •temps terrestre normal... Rajeunissement cosmo-physiologique... Pour le reste, faites-moi confiance...

Il enfouit le précieux tube dans sa poche de poitrine, en referma soigneusement le revers et en tira la fermeture à glissière.

Oanoa s'était levée et se dirigeait lentement vers la fenêtre.

— Comment..., chuchota Valéry, comment pourrons-nous jamais vous exprimer notre reconnaissance pour...

Elle se retourna vers lui, le coupa : Emmenez-moi sur Terre avec vous !

Partons tous les trois...

Born hocha la tête.

songeais, répondit-il. Votre présence nous sera plus précieuse que toutes les indications que vous pourrez nous fournir..., et je ne partirais pas tranquille en vous sachant ici... j'imagine que si on venait à découvrir ce que vous faites pour nous...

Elle ne répondit pas tout de suite. Elle avait ouvert de nouveau la fenêtre et laissait l'échelle se dérouler lentement.

Il fallait refaire le même chemin en sens inverse...

Born enjamba le rebord.

— D'accord, dit Oanoa à cet instant. Demain soir..., si tout va bien...

Valéry Born se laissa glisser en souplesse.

 

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